DESSINS

La légende de Victor Hugo. Six dessins originaux par Raymond et Janine Queneau, Max Morise, Simone Breton, Denise et Pierre Naville représentant des épisodes de la vie de Victor Hugo sur papier vélin à lavis et papier vergé à dessin In...

[1928] [1928]

En bas à droite du verso de chaque feuille sont inscrits au crayon anthracite les noms des auteurs par une main inconnue, probablement celle de Pierre Naville ou de Max Morise dont les écritures se ressemblent. Sur le feuillet consacré à l’illustration des funérailles de Victor Hugo la même main a également indiqué les titres de chaque illustration et l’illustrateur :- f° 1 Enfance - Janine [Queneau]- f° 2 Bataille d’Hernani - Morise- f° 3 Pair de France - Queneau- f° 4 Guernesey - Denise [Naville] - f° 5 Porte piétonne - Simone [Breton]- f° 6 Enterrement - Naville [Pierre]Cet ordre des épisodes, de toute évidence chronologique, est confirmé aussi par une annotation alphanumérique placée toujours au verso des feuillets : f° 1, « 215 a » ; f° 2, « 215 b » ; f° 3, « 215 c » ; f° 4, « 215 d » ; f° 5, « 215 e » ; f° 6, « 215 f ».Reproduits dans l’Album Breton (Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2008, pp. 162-163), ces dessins sur le célèbre poète sont à rapprocher d’un cycle de vingt-cinq dessins inédits qui ont comme protagoniste un personnage d’invention nommé le « Petit Rouquin », datés de la même période et composés par le même groupe d’amis. Raymond et Janine Queneau, Max Morise, Simone Breton, Denise et Pierre Naville passent en effet plusieurs jours ensemble dans le sud de la France, à La Ciotat, à partir du 20 septembre 1928, après la fuite de Raymond et Janine en Côte d’Azur et leur mariage en juillet 1928 (cf. André Breton, Lettres à Simone Kahn, Paris, Gallimard, Nrf, 2016 ; Simone Breton, Lettres à Denise Naville, Joëlle Losfeld, 2005 ; Michel Lécureur, Raymond Queneau, Paris, Les Belles lettres, Archimbaud, 2002).Si parmi les surréalistes il existe une admiration sincère pour Victor Hugo, ce dernier a toujours suscité certaines réserves que résume la formule caustique de Breton dans le Manifeste : « Hugo est surréaliste quand il n’est pas bête ». Et pourtant, malgré l’impatience ressenti par le « monument » national Hugo bâti par la Troisième République, voici six dessins consacrés à sa vie « glorieuse » comme l'annonce le titre d’un ouvrage paru en janvier 1928 et qui ne serait pas passé inaperçu auprès des membres du mouvement : La Vie glorieuse de Victor Hugo par Raymond Escholier (Librairie Plon). D’autant plus que cette vie glorieuse est compensée par sa vie anecdotique mise en exergue par André Breton dans l’incipit de Nadja paru en mai de la même année, peu avant la conception des illustrations : « Hugo […] refaisant avec Juliette Drouet pour la millième fois la même promenade et n’interrompant sa méditation silencieuse qu’au passage de leur voiture devant une propriété à laquelle donnaient accès deux portes, une grande, une petite, pour désigner à Juliette la grande : “porte cavalière, madame” et l’entendre, elle, montrant la petite, répondre : “porte piétonne, monsieur” […]. Ces deux portes sont comme le miroir de sa force et celui de sa faiblesse, on ne sait lequel est celui de sa petitesse, lequel celui de sa grandeur. »Cette anecdote savoureuse est représentée dans la remarquable illustration de Simone Breton (f° 5) qui n’élude pas le potentiel érotique et ironique de la scène en mettant bien en évidence le sexe du cheval et le pigeonnier, lieu secret et intime, auquel on accède par la « porte piétonne ». Les autres illustrations sont d’apparence plus conventionnelles. Janine Queneau illustre le jeune poète royaliste lauréat en 1819 par l’Académie des Jeux floraux de Toulouse pour son poème La statue de Henri IV (f° 1). Max Morise se consacre en revanche à l’épisode mythique de la Bataille d’Hernani révélant le poète chef de bande du mouvement romantique accompagné par Théophile Gautier portant le fameux gilet rouge. Mais il choisit de le fixer au moment précis de la réplique d’Hernani à Don Ruiz Gomez « Vieillard stupide ! Il l’aime ! » compris par le public classique et conservateur comme un inconcevable « Vieil as de pique ! » - inscrit au crayon au-dessus de la scène. Anecdote qui circulait depuis la tumultueuse première de la pièce en 1830 (f° 2). Raymond Queneau représente Hugo pair de France à la tribune de la Haute Assemblée du Palais de Luxembourg (f° 3). Denise Naville le poète déchu sur son rocher, l’île de Guernesey, exilé et concentré sur l’écriture (f° 4). Enfin, Pierre Naville dessine le cortège funèbre lors des funérailles et de la panthéonisation du poète dont le visage à la barbe blanche se dresse sur le ciel et paraît ainsi figurer le titre du chapitre consacré à la mort par Raymond Escholier : « Comme le soleil se couche un beau soir d’été » (f° 6).La naïveté de ces illustrations, loin de trahir une certaine maladresse, participe au renouvellement de l’inspiration prônée par les surréalistes. En effet, depuis le dadaïsme il s’agit d’explorer les domaines où la créativité est le fruit d’instincts et de pulsions, sans lien avec les habituelles préoccupations morales ou esthétiques. Voici donc qu’à l’image des « peintures idiotes », des « enluminures populaires » et de « petits livres d’enfance » célébrés par Rimbaud (« Alchimie du verbe »), le regard se tourne vers l’art des « fous », les dessins d'enfants et l'art populaire. Par ailleurs, cet ensemble relève d'un type d’activité collective - dans l’esprit de l’écriture automatique et du cadavre exquis – qui adopte le principe ludique et d’anonymat dans la création pour se démarquer du talent artistique individuel de la tradition culturelle institutionnalisée. Pierre Naville regrettera plus tard que cette aspiration ne fut pas complètement aboutie : « je déplore encore que le surréalisme ait dédaigné ce déferlement de l’imagination enfantine. Le coupable en la circonstance est le système qui s’empare très tôt de l’enfant pour réduire ses jeux à des entreprises bien codées, et à l’encadrement ultérieur par l’appareil des beaux-arts comptable de ses réussies sociales […] Les dessins d’enfants ne valent rien, par grâce ! » (Le Temps du surréel, Paris, éditions Galilée, 1977).Entre gloire et déclin, événement et anecdote, politique et littérature, éros et thanatos, la vie de Hugo dévoilée ainsi avec une dose d’humour, se transforme en hommage, certes ambigu, à une vie qui résonne malgré tout avec celle des illustrateurs. La bagarre au théâtre dans l’illustration de Max Morise n’est pas si différente des manifestations publiques houleuses des surréalistes. Hugo à Guernesey, dont les traits font songer de façon troublante au portrait de Trotski alors déjà exilé, évoque les conflits politiques qui traversent le surréalisme emboîtant les pas du Parti communiste et qui détermineront la vie de Denise et de Pierre Naville, trotskistes de la première heure. L’anecdote sur la relation extraconjugale entre Hugo et Juliette Drouet, cocasse et émouvante, fait écho aux tourments de l’amour, illégitime pour Simone Breton et Max Morise, de ces trois couples.Une plongée inédite dans le quotidien intime de Raymond et Janine Queneau, Denise et Pierre Naville, Max Morise et Simone Breton, dans une période exceptionnelle de leur vie et de celle du mouvement surréaliste.
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