COLETTE.

La Chatte.

Paris Grasset, coll. "Pour mon plaisir" 1933

in-12, maroquin tabac, dos lisse, gardes bord à bord et contreplats de box chamois, tranches dorées sur témoins, couvertures et dos conservés, non rogné, étui bordé (Louise Lévêque), 207 pp. Edition originale. Un des 40 exemplaires numérotés sur simili Japon bleu, celui-ci adressé à Hélène Picard avec ce bel envoi de Colette : "A mon admirable Hélène, un peu de bleu pour sa chambre à rêver, avec ma tendre et profonde amitié". Superbe exemplaire.Edition originale de cette tragédie à trois personnages qui relate l'amour d'Alain pour Saha, la chatte qui domine sa vie, et la jalousie de Camille l'épouse délaissée. Ce court roman est d'abord paru en feuilleton dans "Marianne" du 12 avril au 7 juin 1933. De son premier titre, Le Chien de pique, célèbre figure du tarot de Marseille, le roman qui paraît chez Grasset au mois de juin 1933 conserve l’idée d’une sombre fatalité qui pèse sur les protagonistes de ce nouveau triangle amoureux.Alain Amparat appartient à la bonne bourgeoisie industrielle de Neuilly. Son destin semble tout tracé : reprendre l’affaire familiale et épouser une jeune femme de son milieu, Camille. Mais c’est sans compter sur Saha, la chatte, fidèle compagne d’Alain depuis l’enfance. Entre Camille et Saha la rivalité inévitable se mue très vite en haine mortelle. Roman de la préférence accordée à la bête sur l’homme, La Chatte est d’abord une nouvelle illustration de la difficulté, voire de l’impossibilité qu’éprouvent les jeunes héros colettiens à quitter l’univers protecteur de l’enfance. Saha, plus humaine que féline, plus divine qu’humaine, est tout à la fois l’incarnation de ce monde perdu et la médiatrice qui permet au héros de le rejoindre. Crépusculaire à la manière de « La Lune de pluie », ce court récit, construit comme une tragédie, brille d’un éclat sombre et fascinant. Colette que l’on dit volontiers « terrienne » se montre souveraine quand il s’agit d’évoquer la porosité entre le monde réel et celui du rêve, entre l’homme et l’animal et les irrémédiables sortilèges de l’enfance.Bien que l’ouvrage semble éloigné des explorations autobiographiques de cette période, La Chatte peut toutefois apparaître comme un magnifique hommage rendu à celle qui était entrée dans la vie de Colette en 1926 et qui n’avait voulu d’autre nom que « La Chatte », avec un C majuscule. Entre elles, la même connivence qu’entre Alain et Saha, la même compréhension au-delà ou en-deçà du langage. Morte en 1939, elle fut « La Chatte dernière » Colette n’ayant plus souhaité posséder d’autre animal. Le roman qui portait son nom fut son tombeau.Edmond Jaloux dans Excelsior ne cacha pas son enthousiasme au moment de la publication : « Il faut le dire tout de suite : La Chatte est un chef-d’œuvre. Un chef-d’œuvre, comme nous en avons un certain nombre dans notre littérature, un chef-d’œuvre de concision, d’art, de perfection classique, avec le maximum de vérité, d’intelligence et de poésie. »La Chatte est le seul roman que Colette publia dans la célèbre maison d’édition de la rue des Saints-Pères. Les sollicitations pourtant ne manquaient pas de la part de Bernard Grasset qui rêvait, comme son grand concurrent Gaston Gallimard, de ravir Colette à Ferenczi. Quelques jours avant la sortie du roman, il ne cachait pas sa satisfaction : « Nous avons la joie de pouvoir compter enfin Colette parmi nos auteurs. Le plus grand écrivain féminin français nous donne dans « Pour mon plaisir » un roman qui sera le joyau de la nouvelle série, si riche cependant en grandes œuvres. Nous voulions le signaler tout spécialement à MM. les libraires » (Bibliographie de la France du 19 juin 1933).Il faut dire que depuis quelques années, l’éditeur ne ménageait pas ses efforts. En 1928, il avait entrepris l’édition des « Œuvres de Colette » dans sa prestigieuse collection « La Bibliothèque Grasset », vendue par souscription. Onze titres parurent jusqu’en 1933, mais les tiraillements avec Alex et Henri Ferenczi, notamment au moment de la publication de La Seconde, mirent fin à cette première entreprise. Qu’à cela ne tienne, en 1936, il commande à Pierre Clarac, célèbre professeur de Khâgne à Louis-le-Grand, une anthologie (voir préface) et la même année lors d’un déjeuner à Saint-Tropez il propose à Colette de racheter à Ferenczi toute son œuvre, lui offrant des conditions fort avantageuses et lui commandant un ouvrage provisoirement intitulé Femmes. Mais pour Colette, son passage chez Grasset ne fut qu’ « une collaboration hors-série » et Claude Pichois et Alain Brunet ne sont pas loin de penser que La Chatte ne fut donné que pour avoir la paix. L’expérience ne se renouvellera pas et ce même lorsque les frères Ferenczi seront contraints à l’exil pendant l’Occupation.Colette fait la connaissance d’Hélène Picard en 1919. Fraîchement arrivée à Paris après son divorce, munie des quelques plaquettes de poèmes, elle se présente au Matin et est engagée par l’écrivaine récemment promue directrice littéraire, pour y être sa secrétaire. Un peu étrange, sa légèreté et sa simplicité plaisaient à l’écrivaine dans le fond plus méthodique et rigoureuse qu’on ne le dit souvent. Très tôt, la poétesse rejoint le premier cercle des amis et devint une habituée des étés à Rozven.Colette voyait en elle un grand poète. Pour évoquer son dernier recueil, Pour un mauvais garçon – dont on trouvera ici un exemplaire exceptionnel -, elle convoque Baudelaire, Berlioz et même Rimbaud pour saluer « un volume soumis à l’envoûtement, éclairé par la seconde vue, jeté, comme une fleur assez maléfique, à un visage de chair, jeune et maudit ».Manifestant une attention et une générosité rares, Colette mit sa notoriété à son service. En 1923, elle publie un roman, Sabbat, dans la collection qu’elle dirige chez Ferenczi et lui permet d’obtenir en 1928 une bourse du Prix de la Renaissance littéraire et artistique où elle siège en tant que membre du jury. Très tôt malade et immobilisée par une douloureuse pathologie osseuse, Hélène Picard vécut pendant « un quart de siècle environ » recluse dans son appartement de la rue d’Alleray – un nom familier aux lecteurs de Colette puisqu’il donna son nom à la Dame en blanc du Blé en herbe -, entourée de perruches et d’un désordre d’opalines et de bibelots bleus.À sa mort, qui en 1945 devait seule interrompre « son rosaire de rimes », Colette, elle-même rattrapée par la douleur, lui consacra un magnifique portrait d’abord publié dans La Revue de Paris puis repris, en 1946, dans L’Étoile Vesper, véritable exercice de canonisation littéraire où Hélène Picard apparaît à la fois nonne et sainte, pure, pour reprendre un adjectif colettien. Une des plus belles et émouvantes provenances pour un des chefs-d’œuvre de Colette. (Notice de Frédéric Maget pour le catalogue de la collection Colette des Clarac)
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