COLETTE. | L'Etoile Vesper. Souvenirs.

COLETTE.

L'Etoile Vesper. Souvenirs.

Genève Le Milieu du Monde 1946

in-12, demi-maroquin vert sapin à coins bordé de filets dorés, dos à nerfs, plats, doublures et gardes de papier vert sapin, tête dorée, non rogné, couvertures et dos conservés (P.-L. Martin), 218 pp. Edition originale. Un des 16 exemplaires numérotés sur vergé de Montval Canson et Montgolfier. En belle condition. Selon un mode de composition qu’elle reprendra pour Le Fanal bleu, Colette mêle à la matière de ses souvenirs certains textes publiés précédemment. Ainsi retrouve-t-on tout ou partie de « La Miniature » publié par Le Matin, le 14 avril 1923, de « Vieux papiers » déjà paru dans Broderie ancienne en 1944, l’hommage rendu à Hélène Picard dans la Revue de Paris au mois de mai 1945, « Dans l’ombre du Palais-Royal » publié dans Les Nouvelles littéraires le 25 octobre 1945, ou des textes plus anecdotiques comme « De quoi réveiller un mort. Colette nous donne une recette » publié dans l’Almanach du Beaujolais 1946 en 1945 ou « Saisons » dans La Table ronde, début 1946.L’ouvrage paraît, dans un premier temps, dans le magazine Elle dont il accompagne la naissance en 1945. De retour des États-Unis où elle s’était exilée, Hélène Lazareff décide de créer en France, sur le modèle du Harpers Bazaar, un magazine féminin dont la devise serait « Le sérieux dans la frivolité, de l’ironie dans le grave. » Afin d’encourager le succès de l’entreprise, au départ modeste puisque les premiers numéros ne dépassent guère une vingtaine de pages, elle décide de faire appel à quelques plumes célèbres et ne peut passer à côté de Colette qui fait alors figure d’institution littéraire. Ce n’est pas la première fois que la presse féminine sollicite l’auteure des Claudine et de Gigi ; on se souvient de ses nombreuses collaborations, avant-guerre, à Marie-Claire ou à Vogue. Aux yeux des patrons de presse et de certains éditeurs, elle est devenue celle qui sait parler aux femmes. La publication de L’Étoile Vesper débute le 21 novembre 1945, date de parution du premier numéro du magazine. Hélène Lazareff s’est elle-même déplacée au domicile de Colette pour chercher le manuscrit et le confier au plus vite à la composition. Peut-être aurait-elle dû le lire avant… Début décembre, elle voit arriver sur son bureau les épreuves du numéro à venir – celui du 12 décembre - où est relatée une visite à une voyante et, sans détour, « la semence [trop] claire » d’un jeune homme. Certes hardie dans ses objectifs, la rédactrice en chef veut ménager ses lectrices et devra réclamer à Colette une atténuation des propos. Ci-fait : « Parce que le jeune homme ne pourra pas… J’adoucis les termes. » La publication se poursuivra sans autre surprise jusqu’au mois de janvier 1946. Le volume, quant à lui, ne paraît que quelques mois plus tard en Suisse, aux éditions du Milieu du monde, « en exécution d’un contrait fait durant la guerre », en même temps sans doute que Paris, de ma fenêtre (voir n°60). Ceci ne fut pas sans conséquence sur la réception de l’ouvrage, si l’on en croit Maurice Goudeket qui, dans Près de Colette, indique que du fait d’un contingentement entre la France et la Suisse, seuls 10.000 exemplaires purent être livrés le 14 juillet « dans un Paris déserté, sans que rien ne signala cette sortie à l’attention du public. » Quand le nouveau contingentement fut livré, six mois plus tard, le public était déjà passé à autre chose. Si bien que « le livre de Colette peut-être le plus émouvant est aussi celui qui connut le plus petit tirage. » Le plus émouvant, sans aucun doute, et aussi un des plus lucides et un des plus beaux.Immobilisée par l’arthrose dans son appartement du Palais-Royal, Colette, qui mena longtemps une vie de vagabondages, voit soudainement son champ d’action et de perception diminuer. Mais ce que la douleur aurait pu faire taire en elle et ce que l’espace d’une chambre et le cadre d’une fenêtre auraient pu restreindre, elle sait en faire une source nouvelle d’apprentissage et d’émerveillement : « Les personnes valides croient toujours que de l’immobilité forcée naît l’ennui. C’est une grande erreur. (…) Que le mal nous façonne, il faut bien l’accepter. Mieux est de façonner le mal à notre usage, et même à notre commodité. »Pour l’écrivaine rivée par l’arthrite à son divan-radeau, tout devient spectacle et suscite un égal désir de dire et de décrire : la visite d’un jeune journaliste, celle d’une voyante ou d’un couple de braconniers, à moins que ce ne soit une photographie ou une lettre prise dans l’album de sa vie. Un rien devient le support d’une rêverie, incite « à une promenade, à une contemplation sans buts ni desseins, à une sorte de virtuosité du souvenir », un art dans lequel elle excelle.Ainsi revivent sous sa plume les visages qui accompagnèrent sa carrière de journaliste, longuement évoquée : Wertheimer, Maizeroy, Téry, Sauerwein, Lauzanne, Fénéon, Tardieu, Bunau-Varilla, Liouville, Duvernois… Le monde d’hier… Avec eux ou après eux, les visages des chers disparus. Sa famille : le Capitaine, Sido, son frère Léo, mort en 1941…, ses amies : les poétesses Hélène Picard et Lucie Delarue-Mardrus, mortes en 1945…, ses animaux : la Chatte Dernière, irremplaçable compagne décédée en 1939… Un monde disparu…Écrit sur fond de guerre et de douleur, l’ouvrage se colore des derniers feux d’un magnifique crépuscule. Car, c’est bien son propre déclin que l’auteur envisage, « l’heure de comparaître », « le bout de la route »… Pas de mélancolie, pourtant. Ce qui se lit dans L’Étoile Vesper, c’est le désir de vivre encore : « À soixante-treize ans moins un quart, on a toujours des projets. Je n’en manque pas » et, surtout, l’évident plaisir de dire et de décrire qui lui a tenu lieu de règle et de devoir tout au long de sa vie. Enfin débarrassée des contraintes de l’article ou du souci de compter et de plaire, elle peut se livrer sans crainte à une écriture en liberté et mêler anecdotes, commentaires et portraits, sans le recours à une quelconque hiérarchie. Une écriture, en quelque sorte, au plus près de la vie ressentie. Une véritable leçon de la part d’une écrivaine qui, arrivée au faîte de sa gloire, alors qu'elle affronte avec un égal stoïcisme l’âge et la vieillesse, semble encore prête à renaître : « Désapprendre d’écrire, cela ne doit pas demander beaucoup de temps. Je vais toujours essayer… » Très rare en tirage de tête.Bibliographie : Yves Courrière, Pierre Lazareff, Gallimard, « Biographies », 1995. (Notice de Frédéric Maget pour le catalogue de la collection Colette des Clarac)
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