POUGY (Liane de).
24 lettres autographe signées adressées à Valtesse de la Bigne vers 1901 (soit 4 pages in-4, 9 pages in-8, 82 pages in-12 et une carte postale portant un cachet daté du 7 avril 1901).
« Je taime à travers tout »En lannée 1901, de ces deux « grandes horizontales » quune génération sépare, laînée Valtesse (1848-1910) sest « rangée des voitures » à 53 ans ; la cadette Liane (1869-1950) est à 32 ans au sommet déjà un peu vacillant de sa gloire
Pour mémoire, Valtesse de la Bigne cherche dès 1890 une « perle » unique assez fine et remarquable pour larborer dabord en « sautoir » comme sa petite protégée et qui prendrait sa suite. Comme toutes les Lorettes, Valtesse (contraction de Votre Altesse) a dabord battu le pavé parisien sur les boulevards mais elle a su assez tôt se hisser avec maestria dans la haute société et, bonne gestionnaire, a amassé une fortune conséquente qui lui permet de se retirer des affaires dans la force de lâge. La beauté racée de Liane, son allure svelte, sa mise impeccable et son goût prononcé pour les parures de perles retiennent son attention. Naturellement, elle en fait son amante et mesure au plus près tout le potentiel de cette superbe créature : cest décidé, Liane lui succédera ! Liaison de courte durée entre les deux courtisanes dont les destins vont se nouer autrement. Il faut dire aussi qu'une tombeuse de femmes, Natalie Barney, est passée par-là
Ces 24 lettres, écrites entre 1901 et 1903, restituent à merveille les liens affectifs unissant les deux femmes qui vivent dans une forme de sororité, Liane signant ses lettres de différents vocables : Ton Lilon, Ta sur Liane, La mère Lili, Ma Tesse, ma sur chérie. Novembre 1901 : Liane évoque son roman autobiographique Idylle saphique dans lequel elle est Annhine de Lys (alias Nhine), Natalie est Flossie et Valtesse « Altesse » : « Idylle se vend bien (
) Et ce matin, je taime tout particulièrement car je suis en train de relire notre Idylle saphique et je mattendris sur ce qui fut le NOUS dil y a trois ans. »Lambiguïté de la relation se poursuit quand Liane envoie à Valtesse un poème courtois sur le motif de Mélusine, inspiré de Jean Lorrain (18 vers d'une écriture non identifiée) ou bien quand elle invite son initiatrice à choisir sa teinte de cheveux pour son portrait commandé au peintre Antonio de la Gandara.Mais si les chatteries vont bon train dans le début de la correspondance, il y a des zones dombre et dintéressantes remarques sur la condition de demi-mondaine : « La vie est bête et facile et je mennuie ». Liane envie son aînée, débarrassée de toutes les vicissitudes de la prostituée de haut vol : « Méveille dans un brouillard plus triste que celui de mes arbres. Je tassure mon aimée, il fait gris sale
Tu seras bien lannée prochaine dans ton nid, mon grand aigle doré [allusion à la Villa des aigles que Valtesse se fait construire à Monte-Carlo]. Je tenvie comme tu as su mener ta vie et quel plus tard délicieux tu te crées (
) Tu ne maimes plus, il me semble à moi quon ma arraché une partie de mon être une aile, ce qui mempêche de planer un peu avec toi et me rejette sur terre sans visée, sans filet ! Tu entends ma chérie, tout le reste de ma vie est éphémère, joie passagère quelques instants, des secondes (
) Jai si peu de confiance en moi, même en ma santé qui semble très bonne en ce moment. Je sais si bien que du mauvais peut seul marriver, alors vois-tu sans même savoir seulement le lendemain un peu assuré ! »La plupart des lettres portent len-tête de lHôtel Cecil Strand à Londres. Liane préside à nouveau aux destinées de son fils Marc Pourpe, né de son premier mariage et quelle a abandonné à la naissance. Lenfant a été élevé en Egypte à Suez par ses beaux-parents. En 1901, elle le récupère et le place dans un collège anglais. Il a quatorze ans, elle le trouve formidable : « Ma chérie, ça y est, un amour denfant pâle et doux, si gentil, si petit, distingué, parlant français, arabe, italien, anglais. Qui sest jeté dans mes bras, ému et heureux. Rare ! » Les deux femmes font « famille » et il est plusieurs fois question de réveillonner ensemble. Liane établit même un menu de Noël pour recevoir chez elle en toute simplicité : « Caviar, potage, huîtres frites, une volaille, truffes sous la serviette, foie gras, salade, boudin, un pudding anglais que jemporte ici pour mon « vieux », des fruits, du cidre pour toi, champagne et eaux d'Evian (
), arbre de Noël, petite surprise pour tout le monde ».Nonobstant ce rapprochement familial, Liane est rivée à ses affaires de cur et nous suivons au fil de sa plume un véritable feuilleton à rebondissements avec un certain « Mathieu » sur lequel elle a jeté son dévolu et qui semble jouer au chat et à la souris, tant et si bien quelle demande à plusieurs reprises à Valtesse dinterférer pour elle au point dagacer son amie : « Tu nas jamais eu de Valtesse, méchante, mais tu as une Liane et je tassure que comme affection et comme cur, lune ne le cède en rien à lautre, je te défends den douter. Ne sois pas maussade ma chérie, tout cela ne vient pas de nous, cela ne restera pas entre nous, cest un point de contact désagréable, le contact disparaît et le point aussi. Voilà, pour être un
passé, ça en est un, je te jure que mon cur nen conserve même pas la plus légère empreinte
) Cest une cocotte que cet homme-là. Dailleurs, jai beaucoup dautres choses à faire
»La seule lettre de Valtesse à Liane qui figure dans cette correspondance est prémonitoire : « Il t'a plu, il te ressemble. Je le sens dans ce que tu me dis Chérie. Que sera ton amour avec lui, joie ou peine ?! Comment cela pourra-t-il être joie puisquun jour il en aimera une, autrement et il te sacrifiera. Fragile !!! Ce serait pis. Jai si peur de tout pour toi, je prévois, je pense, il ne te faut plus de catastrophes. Mesurer son coeur, l'empêcher de battre, de bondir, de s'oppresser, de s'évanouir difficile à moins que la souffrance l'ait étreint, jusqu'à le rendre exsangue. Alors ? alors prends le [...] Marche avec précaution Chérie, imagine que tu portes un flacon rempli d'essence précieuse dont chaque goutte qui s'évapore ou qui s'échappe abrège le bonheur que tu peux espérer [...] ».Linéluctable survient pourtant. Liane est détrônée par une débutante de 23 ans, Jeanne Dortzal, qui deviendra poétesse. La relève est là, déjà : « Elle est jolie. Elle est jeune au bon moment et puis elle est une bonne affaire, espérons que Mathieu en sera une pour elle. Nen parlons plus. » Bonne perdante, Liane nen est pas moins dévastée et linsuccès semble contaminer certaines de ses entreprises : « Je nai plus de larmes pour un bout de temps
Une belle dépression en moi. Le silence des journaux sur mon roman. Le brouillard ici. Toujours Mathieu
Ah jaurais bien besoin de toi qui sais si bien me réconforter. Viens ma chérie, viens pour 2 jours
Je suis seule, pas damie. Seulement mon amant de temps en temps. Et un amoureux qui me suit partout. »Pour la petite histoire, on trouve mention de ces lettres à la page 288 de Mes cahiers bleus : « Ma filleule Margot, ayant perdu sa mère a trouvé une correspondance adressée à sa grand-mère Valtesse de la Bigne. Il y avait vingt-quatre lettres de moi. Elle les a fait vendre à la salle Drouot ! 60 francs, mes vingt-quatre lettres. Inconvenante perfidie ! Jaurai tout vu sur la terre. »Cette très rare correspondance inédite entre deux prostituées est conservée sous double emboîtage, auquel on joint le catalogue de vente Valtesse de La Bigne. Paris, Dubreuil, Haro & Bloche, 1902, un vol. in-4, demi-chagrin aubergine, plat supérieur de la couverture conservé, IV + 116 pp., 9 planches hors-texte (d'autres semblent manquer), 663 numéros décrits, dont le fameux "lit de parade" en bronze. Lexemplaire est signé par Valtesse et truffé dune notice biographique manuscrite (4 feuillets in-4, non signés).
Taxes incluses.
Frais de port calculés à l'étape de paiement.
Livre disponible à Paris